Recensement d'Henri Francq

Jean discutait avec un homme, vêtu de bleu foncé, chapeau en main, toilette soignée et moustache, caractéristique des gens du sud du pays.

- Mais je te jure Jean !! Nos amis Belons se sont révoltés contre leur très auguste maître ! il parait que c’est un vrai merdier là bas ! pire que nous, et c’est peu dire ! L’homme ricana, posant sa main gauche sur son ventre bedonnant. Je gage que l’aigle ne fera plus long feu ! Espérons que ces rustres du nord aient la présence d’esprit de ne pas foutre le feu au palais impérial, c’est si Belondor !

- Tu exagères Bertrand, les Belondaures sont nos amis ! dit Jean sérieusement.

- Nos amis ? sais-tu ce que j’entends lorsque je vais au Belondor au sujet des Aldarnorins ?? ils nous prennent pour de vulgaires Turcoses, « maniérés à l’avaroise » disent-ils ! une insulte !! Nous qui combattons les Turcoses depuis des centaines d’années !! Et puis ils nous confondent avec des Avarois, tu m’excuseras… ces espèces de prétentieux qui ne savent qu’admirer le reflet de leur passé brillant sans se rendre compte qu’aujourd’hui ils se prélassent dans la boue !! L’homme fit une mine abattue, qui laissa dégager son agacement au sujet de cette confusion pour le moins outrageante pour un Aldarnorin. Les Belondaures ont une visions très matérialiste des choses, ils considèrent tous les peuples comme leurs inférieurs, auxquels ils doivent apporter la civilisation ! Et bien moi mon ami, je n’en veux pas de leur civilisation à deux sous !

Les deux hommes caractérisaient parfaitement toute l’ambivalence des opinions sur le Belondor en Aldarnor, entre émerveillement et méfiance. Jean n’était pas du même avis que son interlocuteur, qui était fort radical dans ses opinions, il fallait bien l’avouer, le maître de la porte Saint-Antoine avait toujours été profondément intrigué par le Belondor.

- Tu y vas fort Bertrand je trouve, tout de même, le peu que j’ai vu des Belondaures semble très agréable.

- Ne t’y fis pas !! ils n’apportent que la révolution avec eux ! Les Belondaures sont de la graine d’envahisseur ! Ils sont à mettre dans le même sac que les Locquetiens ! Ils veulent presser tout notre jus, voilà tout ! Tout le monde pense que l’Aldarnor est un État de seconde zone parce que nous avons été occupés ! mais ils ont tous l’air d’avoir oublié que pas moins de quinze nations furent nécessaires pour nous mettre à genou ! Et maintenant, nos voisin tremblent que nous puissions nous venger ! Je ris à présent !! vivement qu’on leur botte le cul !

Jean constata la présence de M^r. Francq, il s’occupa alors de lui :

- Bonjour monsieur, excusez-moi, mon ami et moi ne vous avions pas vu, désolé d’exposer ainsi nos commérages…

Jean prit les papiers de l’homme, et fila aux archives, laissant seul les deux hommes. Bertrand, homme très direct et loquace, engagea la conversation avec l’inconnu :

- Vous ne pensez pas que j’ai raison ?? Les Belondaures sont un grand peuple, oui, c’est certain, pour avoir fait ce qu’ils ont fait, il faut, mais ils ne sont pas plus grands que la moyenne, non ??? La preuve : ils nous confondent avec les Avarois !

Henri Francq, comme tant d'autres des Aldarnorins, avait appris les terribles évènements qui semblaient devoir mettre fin à l'Empire du Belondor et plonger avec eux tout le pays dans l'apocalypse et l'inconnu... Cependant, il n'y avait porté que peu d'intérêts, étant avant tout intéressé par le destin de l'Aldarnor, et rien de plus. Le Belondor avait beau être présenté comme un allié par le Roi, il n'en pensait pas moins qu'il était difficile de se lier avec des gens persuadés de la supériorité de leur Nation sur les autres. C'est ainsi que Henri Francq, personnage énigmatique et plus qu'avare en paroles, se contenta de répondre au fonctionnaire chargé du recensement de sa personne :

- Il est certain que vous avez raison. Au plaisir de vous revoir.

Laissant là en plan les fonctionnaires quelque peu intrigués par une telle froideur, il sortit du bâtiment.